Le vin de cépage prend racine au pays des terroirs
Ils étaient voués à une disparition lente, tels des dinosaures du monde du vin. Depuis quarante ans, les vins de table, autrefois omniprésents dans la consommation quotidienne des Français, n’ont cessé de décliner, au profit des AOC, les fameux vins d’appellation d’origine contrôlée. La quasi-totalité de la viticulture française s’est d’ailleurs convertie aux AOC : ces 450 terroirs produisent aujourd’hui 80 % de l’offre française. La qualité plutôt que la quantité, tel était le message, et il faut reconnaître qu’il n’a pas si mal profité au vin français.
Et pourtant. Voici que le « petit vin » fait un grand retour. On dit aujourd’hui vin de pays, vin de cépage, vin de soif, petite récolte… Le marketing est passé par là. Entre 2000 et 2006, les ventes de vins de pays français dans le monde ont enregistré une croissance de 41 % en volume (37 % en valeur), selon l’Anivit, l’interprofessionnelle des vins de table et de pays. Une tendance confirmée au premier semestre 2007 (+5 % en volume). L’an dernier, plus de 500 millions de bouteilles ont ainsi été exportées, soit un gros tiers du total de la production de vins de pays. Les taux de croissance affichés en Chine (+236%), en Russie (+100%) ou même aux Etats-Unis (+12,5% ) sont prometteurs, montrant que le vignoble hexagonal a encore du ressort face à l’offensive des vins du Nouveau Monde.
En France, certes, le vin de table stricto sensu continue à décliner – à l’exception notable de quelques marques indestructibles, comme Vieux Papes (Castel). Mais le vin de cépage a pris le relais. En 2006, alors que l’ensemble des vins de table et de pays était en recul d’environ 5 % dans la grande distribution, la sous-catégorie des cépages a augmenté ses volumes de près de 14 % en moyenne (+12 % en vin rouge, +16 % pour les rosés, +17 % pour les vins blancs). Dans le même temps, les cinq grandes régions d’AOC (Bordeaux, Languedoc, Côtes-du-Rhône, Bourgogne, Alsace) ont vu s’effriter les leurs (de l’ordre de 1 %). Bordeaux et Bordeaux supérieur, les deux AOC de base de la région (53 % du vignoble et 60 % des ventes de bordeaux), ont, elles, baissé de 4 %. D’où l’importance cruciale des foires aux vins, locomotives de ventes pour les AOC en général, les bordeaux en particulier.
La montée en puissance du vin de cépage au pays des terroirs est un signe de l’évolution des consommateurs français, qui rejoignent peu à peu le comportement de ceux des autres pays. « Le cépage est la principale clé d’entrée sur le marché international », rappelle Noël Bougrier, président de l’Anivit. « En France, ce type de vin, plus facile d’accès, est un relais de croissance pour toucher une clientèle plus jeune. » « Merlot, Gamay, Chardonnay, ça parle aux consommateurs », constate Jean-François Rovire, responsable vin chez Monoprix. « Les cépages sont devenus des marques », renchérit Guillaume Fauqueur, chez Nicolas, qui a lancé justement une collection de vins de cépage pour épauler les Petites Récoltes, ces vins de pays lancés en 1995 et qui se sont installés autour de « 5 à 6% du chiffre d’affaires » de l’enseigne – un montant qui n’est pas négligeable pour des vins vendus en moyenne 3 euros la bouteille.
A l’heure où, selon une récente enquête UFC Que Choisir, un tiers des vins produits sous le label AOC ne le méritent pas, nombre de vins de pays ont su reprendre le flambeau du « petit vin de qualité ». « C’est une véritable alternative aux AOC médiocres et trop chères », confirme Guillaume Fauqueur. « Le vin de pays est dans la tendance actuelle du retour à l’authenticité, son côté un peu rural, accessible, rassure les consommateurs. » « Il n’y a pas de miracle : quand on se met à faire de bons vins, le consommateur suit », commente, plus prosaïque, Jean-Luc Roché, responsable vin des centres Leclerc.
« Depuis deux ans, chez Monoprix, nous avons supprimé la distinction entre AOC et autres vins, au profit d’une séparation, plus simple, entre vins de cépage et vins de terroirs », explique Jean-François Rovire. Du coup, les vins de pays sont gagnants sur les deux tableaux : ils sont les seuls, légalement, à pouvoir fournir des vins de cépage, et leur rapprochement dans les linéaires avec les AOC les moins chères se fait souvent à leur avantage, du fait de leur rapport qualité/prix.
Signe des temps : de grandes régions vinicoles ont trouvé leur salut dans le vin de pays. Le Languedoc, plus grand vignoble de France, est ainsi devenu le premier producteur européen de vins de cépage, avec l’appellation Pays d’Oc. Même Bordeaux, premier terroir d’AOC (57 appellations et 10 000 « châteaux »), a fini par accepter la création d’un Vin de pays d’Aquitaine sur son aire de production, pour trouver une issue à la crise de la surproduction. Inimaginable il y a encore cinq ans.
Pascal Galinier
source : lemonde.fr